Médecin gériatre, Sylvie Cafardy a accompagné de très nombreuses personnes – et leurs familles – dans la fin de leur vie. Elle s’appuie sur une étude passionnante et rigoureuse des récits d’EMI et de leurs explications possibles. Elle montre, en particulier, comment ces récits peuvent parfois contribuer à apaiser les personnes en fin de vie.
Son travail et son livre nous invitent à aller au-delà de notre peur instinctive de la mort. Elle nous incite à apprivoiser cette angoisse si fondamentale, sans masquer les difficultés.
Nos derniers moments peuvent être l’occasion de nous réconcilier avec nous-même, avec nos proches et avec notre vie. Notre conscience sera alors apaisée, alors même que notre corps sera « au bout de sa vie ». Accompagner nos proches dans ces moments peut aussi nous permettre de leur témoigner encore une fois – ou pour la première fois – notre amour. Car, comme le dit l’auteure « la seule chose qui a vraiment de la valeur dans la vie est l’amour ».
Voici quelques extraits de ce livre, dont je vous recommande chaudement la lecture.
Mourir n’est pas forcément horrible
Au fil des ans et des multiples rencontres avec des malades en fin de vie et avec leur famille, j’ai pu constater la véracité de ce que m’avaient enseigné ceux qui ont vécu des expériences de mort imminente : la mort n’est pas forcément un moment horrible. Elle peut être sereine. A condition que le patient ait eu le temps et la possibilité d’apaiser ses relations avec son entourage et avec sa propre histoire. Mais c’est là un travail qui demande du temps et de l’énergie. Aussi bien au malade lui-même qu’à ses proches et aux soignants qui l’assistent.
Les visions des mourants doivent être accueillies et prises en compte
Les expériences de mort imminente et les visions des mourants présentent beaucoup d’éléments communs : on retrouve dans chacune de ces expériences la vision d’une merveilleuse lumière, d’êtres de lumière ou de parents décédés qui suscitent des sentiments de paix et de joie. Comme lors d’une EMI, le patient acquiert la certitude qu’il est sur le point de mourir. Mais cela ne l’effraie pas.
La différence principale est que, dans les EMI, le témoin se perçoit en dehors de son corps. Il est incapable de communiquer avec les personnes présentes autour de lui. Alors que dans les visions des mourants, au contraire, le patient se sent bien présent dans son corps. Il peut continuer à discuter normalement avec son entourage.
Tout soignant devrait être informé de l’existence de ce type de visions, savoir les reconnaître et être capable d’écouter le patient sans porter de jugement ni chercher à y répondre par des médicaments. En effet, pour les équipes soignantes, ces visions présentent un double intérêt.
Elles ont tout d’abord une grande valeur thérapeutique : dans la majorité des cas, ces visions apaisent l’angoisse et les souffrances morales du patient. Elles lui permettent de ne plus avoir peur de sa mort à venir et de l’attendre avec sérénité. Quand ses proches en ont connaissance, elles peuvent également avoir sur eux un effet apaisant. Ces visions ont ensuite une valeur pronostique : quand un patient en fin de vie décrit, de façon calme et lucide, la présence d’une grande lumière, d’êtres de lumière ou de parents défunts, il est temps de prévenir sa famille qu’il va bientôt décéder.
Faire notre bilan de vie nous aide à la quitter plus sereinement
Faire notre bilan de vie est une étape essentielle de notre évolution psychologique, et pas seulement dans les expériences de mort imminente. Nous le ferons tous, que nous le voulions ou non, quand nous nous approcherons du terme de notre existence.
Le professeur Vicki Jackson, qui dirige le service de soins palliatifs de l’hôpital général du Massachusetts, a perçu, elle aussi, l’importance de ce bilan de vie et des prises de conscience qu’il entraîne. Elle a compris que, pour préserver le moral de ses patients malgré la maladie, elle et son équipe doivent les inciter à réaliser ce qui est véritablement important pour eux tant qu’ils en ont encore les moyens. C’est-à-dire sans attendre que leur état de santé se dégrade.
Définir ses objectifs de vie
Comment procèdent-ils ? Ils interviennent conjointement avec les cancérologues dès l’annonce d’un diagnostic de cancer. Sans attendre de savoir si le patient va survivre ou non. Une fois passé l’effet traumatisant de l’annonce du diagnostic, l’équipe de soins palliatifs prend le temps d’établir une relation de confiance avec le malade. Puis elle l’aide à exprimer ses objectifs de vie au cours d’un entretien :
- Êtes-vous inquiet pour votre avenir ? – Réponse du patient.
- Que se passerait-il si vous deviez tomber plus malade ? Qu’est-ce que cela signifierait pour votre famille et pour vous ? – Réponse du patient.
- Qu’est-ce qui serait vraiment important pour vous ? – Réponse du patient.
- Alors, faites-le dès maintenant.
Le fait que les patients aient pu faire le bilan de leur vie, tant qu’ils avaient encore la force de corriger ce qu’ils regrettaient et d’accomplir ce qui était important pour eux, a amélioré leur moral et leur santé au point d’augmenter leur espérance de vie ! Et cela n’a été possible que parce que le tabou de la mort a été brisé et que l’éventualité de leur décès leur a été annoncée suffisamment tôt.
Parler nous libère
Pour aider nos malades en fin de vie à décéder sereinement, il est essentiel de les accompagner – eux et leurs proches – afin de leur permettre de se retrouver. Pour qu’ils puissent se parler, se pardonner et se dire adieu. Car ces rencontres des derniers instants sont libératrices. Aussi bien pour celui qui s’en va que pour ceux qui restent. Mais comment se parler quand la peur de la mort lie les langues et les coeurs ? Les récits d’expériences de mort imminente sont un remède qui a prouvé son efficacité contre cette peur.
Aux derniers temps de notre vie, nous faisons tous le bilan de celle-ci. Mais nous sommes souvent trop sévères avec nous-mêmes. Et les regrets s’installent, nous rongent et nous plongent dans une grande souffrance. Nous avons alors besoin de l’aide de ceux qui nous aiment. Pour voir tout le bien que nous laissons derrière nous, nous réconcilier avec nous-mêmes et retrouver la paix.
Les regrets et les conflits non résolus sont des chaînes très puissantes. Puissantes au point d’empêcher un corps à bout de forces de se laisser mourir. Mais un simple pardon suffit pour les défaire. Encore faut-il le savoir et donner à chacun le temps et les moyens de l’accorder.
Il reste toujours l’amour
Toutes ces familles que nous avons accompagnées nous ont appris que, même quand on croit qu’il ne reste plus rien, il reste encore l’amour. Car c’est bien l’amour et lui seul qui maintenait en vie ces hommes et ces femmes. Tant qu’il reste un noeud – le sentiment de ne pas avoir accompli sa mission envers ses proches, des adieux non faits ou un pardon non accordé –, on a beau les pousser vers la sortie, ils résistent avec une force étonnante. Trouver ces noeuds, aider à les défaire en permettant au mourant et à ses proches de se retrouver et de se parler. Telle est notre mission d’accompagnants au cours de cette étape de la vie qui mérite pleinement le nom de « dénouement ».
Étape essentielle dont le déroulement devrait être respecté jusqu’à son achèvement. Essentielle pour ceux qui restent. Car elle est le point de départ d’un long travail de deuil qui leur permettra un jour de retrouver une vie normale. Essentielle pour celui qui s’en va. Car c’est là qu’il défait naturellement les derniers liens qui le rattachent à la vie.
L’amour est tout ce qui reste à la fin de la vie
Tout ce qui compte, c’est l’amour. Quand nous ferons le bilan de notre vie, tout ce à quoi nous accordons habituellement de l’importance – les exploits audacieux, la popularité, le pouvoir, l’argent, le travail, le sexe ou les plaisirs – nous apparaîtra dérisoire. Nous comprendrons alors que la seule chose qui a vraiment de la valeur dans la vie est l’amour. Et tous les gestes, grands et petits, à travers lesquels il s’est exprimé. Tel sera le seul trésor que nous pourrons emporter lorsque, à notre tour, nous franchirons l’horizon de la vie.
Pour aller plus loin, le lien vers la présentation du livre de Sylvie Cafardy sur Babelio et vers une vidéo avec les docteurs Sylvie Cafardy et François Lallier
Sur le même sujet : l’article sur les expériences de fin de vie ; celui sur le travail en soins palliatifs de Christopher Kerr et le témoignage d’Elisabeth Kübler-Ross