Les expériences de fin de vie : l’espoir et le sens pour ceux qui partent. Et pour ceux qui restent.

Je suis médecin en soins palliatifs, explique Christopher Kerr, et tous mes patients meurent. Pourtant, il y a une forte lumière dans cette obscurité de la mort. En effet, de nombreux patients vivent des expériences de fin de vie : rêves ou visions. Elles les aident à rester ou redevenir en contact avec l’amour qu’ils ont donné et reçu, et avec les relations qu’ils chérissaient.

Les expériences de fin de vie sont réelles

Ces expériences de fin de vie ne sont pas du délire. Ce sont des expériences puissantes et émouvantes, qui se produisent dans les derniers jours ou les dernières heures de la vie. Elles marquent souvent une transition nette de la détresse à l’acceptation, un sentiment de tranquillité et de plénitude pour le mourant. Les patients les décrivent régulièrement comme « plus réelles que réelles » et elles sont aussi uniques que l’individu qui les vit. Elles sont, effectivement, profondément réelles et transforment ceux qui les vivent, leurs proches et leurs soignants.

Ces expériences de fin de vie sont centrées sur l’histoire de la personne, ses relations et les évènements marquants de sa vie. Les êtres chers morts depuis longtemps reviennent pour rassurer. Les blessures du passé sont guéries, les conflits de toute une vie sont réexaminés et le pardon est donné et reçu.

Elles redonnent du sens à la fin de la vie

Les expériences de fin de vie contribuent à redonner la paix à ceux qui meurent. Elles profitent également à ceux qui restent. Ils sont soulagés de voir leurs proches mourir avec un sentiment de paix et d’apaisement.

C’est là que réside le paradoxe de la mort : les patients sont souvent émotionnellement et spirituellement vivants, voire éclairés, en dépit d’une détérioration physique profonde. Le poids physique et psychologique de la mort est indéniable. Mais c’est aussi ce qui fait que les changements émotionnels et spirituels provoqués par les expériences de fin de vie sont parfois si rapides et spectaculaires, à la limite du miraculeux.

La mort n’est pas un échec, c’est un moment de vie profonde

Les préjugés de la formation médicale actuelle ont entraîné une incapacité à considérer la mort autrement que comme un échec. Ils compromettent le pouvoir d’apaisement des expériences de fin de vie. Les médecins considèrent souvent que les expériences de fin de vie n’ont rien à voir avec leur métier.

Pourtant, lorsque nous ne médicalisons pas à l’excès le processus, la mort devient moins une question de mort que de vie.

Les expériences de fin de vie témoignent de nos plus grands besoins : aimer et être aimé, être nourri affectivement et se sentir connecté, se souvenir, demeurer dans le souvenir des autres et être pardonné. Elles assurent la continuité entre les vies et d’une vie à l’autre.

Lorsque les patients voient leurs rêves et visions antérieurs à la mort validés par leur entourage et leurs soignants, la fin de la vie peut devenir un voyage vers une plénitude retrouvée. Notre étude a confirmé que les expériences de fin de vie aident les patients à se (re)connecter à qui ils sont et à ceux qu’ils ont aimés et qui les ont aimés.

Le réconfort par ceux qui sont déjà partis

Les expériences de fin de vie impliquant des parents et des amis décédés sont celles qui procurent le plus de réconfort à nos patients.

De nombreux patients ont décrit des amis et des parents décédés dans leurs rêves comme  » les attendant « , dans une présence silencieuse et aimante. Il n’émanait d’eux aucun jugement, juste de l’amour pur et du réconfort.

La mort comme un voyage vers une destination inconnue

Plus d’un tiers des participants à notre étude ont identifié le voyage ou la préparation au départ comme un thème commun à leurs rêves et visions. Paradoxalement, l’absence de destination de ce voyage est généralement une source de paix et non d’anxiété. Les patients se sont décrits en train de monter à bord d’avions et de trains, de voitures et d’autobus. Ils se disaient réconfortés par cette préparation au départ.

Quasiment tous nos patients ont dit à propos de leurs expériences de fin de vie qu’elles sont catégoriquement distinctes des rêves « normaux ». Ils expliquent : « en général, je ne me souviens pas de mes rêves, mais ceux-là étaient différents » ; « ils semblaient plus réels que la réalité » et « c’était comme si cela s’était réellement passé ». Les patients ont affirmé avec insistance que leurs rêves n’étaient pas seulement réalistes, mais qu’ils étaient réellement vécus.

Ce que nous appelons « rêves », parce qu’ils se produisent pendant le sommeil, les patients l’appellent « visions ».

Les expériences de fin de vie peuvent guérir des blessures très anciennes

Nous pensions au départ que la valeur thérapeutique des expériences de fin de vie réside dans le fait qu’elles facilitent le processus de la mort. Nous n’avions aucune idée de ce que leur puissance s’étend même aux blessures les plus anciennes. Les expériences de fin de vie ne concernent pas seulement la fin de la vie. Elles concernent la vie dans sa globalité.

Eddie, qui était si anxieux de savoir comment ses péchés affecteraient son statut dans l’au-delà, s’est soudain retrouvé, à l’approche de la mort, à donner la priorité aux besoins d’autrui plutôt qu’aux siens. Au lieu de s’inquiéter de l’éventualité de l’enfer, il tendait la main à ses proches, leur disait son amour et leur souhaitait bonne chance.

Plus important encore, il sortait de cette expérience en étant un homme meilleur. Tous les pouvoirs et toutes les merveilles de la médecine n’auraient pas pu faire passer un patient comme Eddie d’un désespoir profond et amer à une sérénité euphorique comme l’a fait sa vie intérieure, quelques heures avant sa mort. Aucun antidépresseur, ni aucune thérapie par la parole, ne peuvent égaler l’étonnante capacité de l’âme humaine à guérir et à trouver le pardon et la paix à la fin de la vie.

C’est toujours l’amour qui compte

Ce qui se déroule à la fin de la vie est un processus qui se répète sans cesse, quels que soient les contextes culturels, raciaux, sexuels, éducatifs, nationaux, économiques ou spirituels qui semblent séparer les mourants. Il s’agit d’un phénomène universel. Et il s’agit toujours d’amour.

Nos patients démontrent encore et toujours ce qu’est véritablement le processus de mort : la résurrection de nos liens les plus profonds et la réaffirmation de l’amour, à la fois donné et reçu. Au cours de leur expérience de fin de vie, les mourants renouent souvent des liens avec ceux qui comptaient le plus pour eux. Dans ces moments, même les patients dont la vie est fragmentée et brisée retrouvent le chemin de la connexion et de l’appartenance.

Aimer c’est atteindre Dieu

« Aimer, c’est atteindre Dieu » a dit Rumi, le poête persan du XIIIe siècle. De nombreuses personnes en fin de vie atteignent cet état dans lequel l’amour est la seule réalité.

Nous supposons souvent que l’acceptation de la fin de la vie consiste à accepter sa propre mort. Beaucoup pensent que mon travail de médecin en soins palliatifs consiste à guider les patients mourants jusqu’à les aider à accepter l’idée de leur finitude. Mais ce n’est pas toujours le cas. La connaissance de la mort n’est jamais la fin de la discussion dans les soins palliatifs. Elle en est le début. Les rêves de fin de vie des patients jouent un rôle important dans cette progression. Ils ne sont ni la fin ni le but. Ils sont les outils que nous utilisons même si, ou plutôt précisément parce qu’ils ne sont pas de notre fait.

Voici le témoignage laissé par une adolescente sur sa page Facebook quelques jours avant de mourir. Elle a annoncé à ses amis que ce serait son dernier message « pour un certain temps ». Puis elle a écrit : « Il est vrai que je suis encore trop jeune pour parler de mon expérience de vie, mais à travers ma maladie, j’ai le sentiment d’avoir beaucoup gagné en maturité. J’ai appris que nous devons tous faire de notre mieux pour répandre la joie, même si nous souffrons ou sommes malheureux. Ne pensez pas, ne planifiez pas et ne travaillez pas pour l’après. Vivez au jour le jour. Vivez l’instant présent. Parce que ces moments ne reviendront pas et parce que le plan de Dieu pour vous se réalisera quoi qu’il arrive ».

Les expériences de fin de vie aident aussi ceux qui restent

Dans une de nos études, plus de la moitié des participants dont les proches avaient eu des rêves et des visions avant la mort ont confirmé que cela les avait aidés eux aussi. L’un d’eux a précisé : « nous avons tous les deux cru dès le début qu’il serait dans un endroit meilleur et que notre amour demeurerait vivant ». Une autre personne dit : « la vision de ma mère était heureuse et paisible. Elle était heureuse et accueillait les personnes avec lesquelles elle interagissait. Je savais qu’elle nous quittait et qu’elle était heureuse de le faire. Ses visions étaient très réconfortantes pour elle et pour nous ».

En fait, plus les aidants voient que les rêves et les visions d’avant la mort sont réconfortants pour leurs proches mourants, plus ils se sentent apaisés par leur propre perte, tant à court qu’à long terme. Le réconfort pour le mourant se traduit systématiquement par le confort et la paix pour les soignants. Le processus de deuil vécu par la famille du patient est facilité par les expériences de fin de vie de l’être cher.

Le mari d’une patiente, Paul, a trouvé un grand réconfort en réalisant que les rêves de sa femme mourante, Joyce, l’ont aidé à ressusciter l’amour qui l’avait le plus soutenue dans son enfance : celui de son père. Il s’est alors rendu compte qu’elle était enfin en paix et il a pu la laisser partir.

Elles les aident aussi lorsque c’est leur tour de partir

Des années plus tard, lorsque Paul est devenu à son tour un de nos patient, cette connaissance résonnait encore en lui, l’aidant à aborder sa propre mort avec sérénité. Il était en paix avant même de commencer à avoir des visions de sa femme décédée. Son rêve le plus récurrent était celui de Joyce, dans sa robe bleue préférée, lui faisant signe de la main. Il m’a raconté qu’elle lui avait fait « un petit signe » pour lui faire savoir qu’elle allait bien et qu’il irait bien lui aussi.

Paul aimait partager ses expériences, et sa fille Diane, infirmière, a été encouragée de l’entendre parler de ses rêves de fin de vie. Elle témoigne : « nous avons tous aimé entendre parler des rêves de papa. Si papa était réconforté par ces rêves, c’est ce que je recherchais. Ses derniers jours sur terre ont été le dernier cadeau qu’il nous a fait en tant que père ».

C’est l’expérience qui compte, plus que le sens qu’on lui donne

De nombreux membres de familles endeuillées donnent un sens aux rêves et aux visions de fin de vie de leur parent mourant en s’appuyant sur la croyance en Dieu, aux anges, à la vie après la mort et au paradis. Mais la façon dont chaque famille choisit de comprendre la signification des rêves et des visions de fin de vie de leurs proches importe peu.

Ce qui est remarquable, c’est la façon dont le simple fait d’être témoin de ces expériences aide les personnes endeuillées à surmonter la douleur de la perte et à accepter la réalité de la séparation.

Même lorsque les patients cherchent une explication, l’interprétation de leurs expériences de fin de vie n’est pas l’essentiel. L’important est ce qu’ils ressentent, ce qu’ils voient et la façon dont ils sont transportés dans un lieu d’amour et de soutien inconditionnel. Les rêves et les visions de fin de vie offrent un chemin vers la paix, quelle que soit la manière dont ils sont interprétés. Ce qui compte, c’est qu’ils soient vécus et non expliqués.

La dimension spirituelle est essentielle

Toutefois, il est important de reconnaître que le processus de la mort apporte une forme de réconfort spirituel et émotionnel qui implique une forme de lien avec un monde spirituel. À l’approche de la mort, les frontières entre l’expérientiel et le spirituel, le corps et l’esprit, le présent et le passé, semblent se dissoudre pour donner un sentiment de connexion avec un lieu de bonheur et de sérénité.

Mourir est bien plus qu’un événement physique. Et mourir dans la dignité, tout comme vivre dans la dignité, est un processus plus spirituel que biomédical.

L’approche de la mort permet souvent de retrouver notre profondeur

C’est à l’heure de la mort que les gens sont capables de se libérer de leurs vieilles peurs et de retrouver le chemin de l’amour inconditionnel pour soi et pour les autres. Souvent, nous avons perdu le contact avec notre Être profond au fil des années de stress, d’attentes déçues, de mésaventures et d’émotions négatives. Pourtant c’est cet Être qui refait surface en pleine force à la fin de la vie. Au cours des profondes avancées que permet le processus de mort, les patients renouent avec eux-mêmes et avec ceux qu’ils ont aimés et parfois perdus. Ils revivent la nature inconditionnelle de l’amour, en particulier de l’amour familial.

À l’Hospice de Buffalo, l’équipe médicale sait qu’une collaboration étroite avec nos aumôniers et nos représentants religieux est essentielle au bien-être et au bonheur de nos patients. Il est désormais universellement admis que le corps et l’esprit s’influencent mutuellement. En fin de vie, une vision compartimentée de la santé n’est tout simplement pas tenable. Le spirituel et le physique vont ensemble lorsque nous cherchons à faciliter la transition de nos patients vers leur dernière demeure.

L’amour est le pont entre les mondes

Il y a rarement des références religieuses dans les rêves et les visions des personnes en fin de vie. Pour autant, la spiritualité est très présente, si on la comprend comme la recherche du plus grand amour. Les écrits de Kerry Egan, aumônier d’un hospice dans le Massachusetts, illustrent bien ce point de vue. Elle explique qu’elle est régulièrement appelée au chevet de patients mourants qui souhaitent parler, non pas de Dieu ou de grandes questions spirituelles, mais de leur famille et de « l’amour qu’ils ont ressenti, et l’amour qu’ils ont donné [ou] n’ont pas reçu, ou l’amour qu’ils n’ont pas su offrir, l’amour qu’ils ont retenu, ou peut-être qu’ils n’ont jamais ressenti pour ceux qu’ils auraient dû aimer inconditionnellement … Les gens parlent à l’aumônier de leur famille parce que c’est comme cela que nous parlons de Dieu et du sens de notre vie. Nous vivons notre vie dans nos familles : les familles dans lesquelles nous sommes nés, les familles que nous créons, les familles que nous formons grâce aux personnes que nous choisissons comme amis ».

Dieu est l’Amour

Dans un monde où le succès d’une personne se mesure souvent au nombre de relations qu’elle sacrifie en chemin, les rêves des mourants nous aident à voir un monde où les relations humaines définissent notre but et notre véritable accomplissement. Kerry Egan reconnaît Dieu et les enseignements de sa religion dans l’amour échangé par les membres de la famille au moment de la mort :  » Dieu est amour, nous apprenons à connaître Dieu lorsque nous apprenons à connaître l’amour. La première, et généralement la dernière, classe de l’amour est la famille. Nous n’avons pas besoin d’utiliser les mots de la théologie pour parler de Dieu. Les personnes proches de la mort ne le font presque jamais. Nous devrions apprendre de ceux qui sont en train de mourir que la meilleure façon d’enseigner Dieu à nos enfants est de s’aimer pleinement et de se pardonner pleinement, tout comme chacun d’entre nous aspire à être aimé et pardonné par ses mères et ses pères, ses fils et ses filles ».

Un renouvellement profond de notre être

Si les rêves de fin de vie sont spirituels, ce n’est pas tant par leur contenu que par leur expérience. Ils sont spirituels par la manière dont ils modifient la perception et par le sentiment de bien-être qu’ils procurent. Ces rêves sont spirituels parce qu’ils déclenchent un processus de renouvellement profond dans les recoins les plus profonds de notre être. Ils sont aussi spirituels dans la mesure où ils nous libèrent de la peur et de la douleur et nous relient les uns aux autres.

La mort est une période de transition qui transforme notre manière de voir et de vivre. Si les mourants peinent à trouver les mots pour rendre compte de leurs expériences intérieures, ce n’est pas parce que le langage leur fait défaut, mais parce qu’il n’est pas à la hauteur de l’émerveillement qui les envahit. Ils éprouvent un sentiment croissant de connexion et d’appartenance. Ils commencent à voir non pas avec leurs yeux, mais avec leur âme libérée.

Lorsque la maladie commence à prendre le pas sur la volonté de vivre, un changement s’opère. Les mourants continuent à chérir la vie, mais pas pour eux-mêmes, pour les autres.

Pour approfondir, je vous invite à lire l’ouvrage de Christopher Kerr (en anglais seulement) : Death is but a Dream – Hope and meaning at Life’s end

Vous pouvez aussi visionner sa passionnante conférence TEDx, sous-titrée en français.

Pour aller plus loin, voir aussi l’article les EMI, un message de joie et de paix et l’article sur le livre de Sylvie Cafardy et son travail avec les personnes en fin de vie

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